Cybercriminalité en 2024 : Les vrais chiffres de la France sous surveillance

Alors que les projecteurs mondiaux étaient braqués sur la France pour les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, beaucoup redoutaient une vague de cyberattaques sans précédent. Pourtant, derrière les chiffres officiels, la réalité s’avère bien plus nuancée. Loin des effets d’annonce, la cyberdélinquance en France dessine une cartographie complexe, où la vigilance institutionnelle côtoie les arnaques numériques du quotidien, et où l’évolution des comportements cybercriminels suit sa propre logique, loin des prédictions alarmistes.

L’année olympique n’a pas déclenché de tsunami cyber : radiographie d’une menace maîtrisée

En 2024, la France s’attendait à une avalanche d’incidents informatiques, alimentée par la visibilité mondiale des Jeux Olympiques et Paralympiques. Mais, au grand dam des catastrophistes, la vague n’a pas eu lieu. Les services de police et de gendarmerie, sur le pont, ont observé une stabilité inattendue du nombre d’infractions liées au numérique, alors même que l’Hexagone était sous les feux de la rampe.

Ce calme relatif cache toutefois une réalité plus subtile : la cybercriminalité ne connaît pas de pause, elle mute. Les chiffres officiels, consolidés par le Service Statistique Ministériel de la Sécurité Intérieure (SSMSI), montrent que le volume total des infractions numériques a progressé de 2 % en 2024 par rapport à l’année précédente. Cette hausse, loin d’un raz-de-marée, s’inscrit dans une tendance de fond : le numérique façonne désormais toutes les facettes de la délinquance.

Dans ce paysage, la création de la plateforme Thésée, dédiée au dépôt en ligne de plaintes pour e-escroqueries, a bouleversé les usages. Près de 51 000 plaintes y ont été enregistrées, soit plus d’un cinquième des atteintes numériques aux biens recensées par les forces de l’ordre. Si le volume global d’atteintes numériques aux biens recule légèrement (-1 %), cette évolution masque des dynamiques inversées : la forte baisse des infractions déclarées via Thésée (-19 %) n’est que partiellement compensée par une hausse des signalements hors plateforme (+6 %).

La conclusion s’impose : le numérique n’a pas provoqué d’explosion, mais il a façonné les modalités mêmes de la criminalité. Loin des fantasmes, la cybersécurité institutionnelle française a tenu bon, mais la vigilance reste de mise, car la délinquance numérique s’adapte et évolue, souvent à bas bruit.

En 2024, 348 000 infractions numériques ont été enregistrées en France, soit une hausse de 2 % par rapport à 2023, confirmant une progression constante, mais loin de l’explosion attendue durant les JO.

Victimes, profils et genres : la cybercriminalité cible différemment

Derrière chaque statistique, une histoire. En 2024, les femmes ont payé un lourd tribut aux atteintes numériques à la personne. Deux tiers des victimes sont de sexe féminin, une surreprésentation flagrante qui interroge sur la nature de la violence numérique : harcèlement, injures, menaces ou encore discriminations prolifèrent en ligne, bien au-delà des frontières physiques.

Les femmes de 18 à 44 ans incarnent à elles seules près de la moitié des victimes majeures de ces délits, alors qu’elles ne représentent qu’un cinquième de la population adulte française. Cette surexposition ne s’explique ni par un taux d’équipement informatique supérieur, ni par une différence d’accès à Internet, mais bien par une réalité sociale et numérique qui démultiplie la vulnérabilité dans l’espace digital.

Du côté des atteintes numériques aux biens — essentiellement des escroqueries et fraudes financières en ligne —, le clivage de genre s’estompe. Hommes et femmes sont concernés à parts quasi égales, avec une légère surreprésentation des hommes de plus de 45 ans. Les mineurs ne sont pas en reste : les victimes d’atteintes numériques à la personne sont très majoritairement des filles de moins de 15 ans, tandis que les garçons de plus de 15 ans dominent dans la catégorie des infractions financières.

L’analyse du profil des personnes mises en cause complète ce panorama : sur les 60 000 individus impliqués dans une infraction numérique en 2024, plus de huit sur dix sont majeurs. Les atteintes à la personne constituent désormais la majorité des dossiers traités (62 %), signe d’une dématérialisation croissante des violences. Sur la décennie écoulée, le nombre de personnes mises en cause a bondi de 75 %, même si la croissance ralentit en 2024. Un détail frappant, pourtant : les atteintes aux institutions et celles touchant aux législations spécifiques (RGPD, loi Hadopi, etc.) représentent une infime part des infractions, mais leur hausse reste spectaculaire en 2024 (+42 % pour ces dernières).

La cybercriminalité n’est donc pas qu’une affaire de chiffres : elle touche différemment selon l’âge, le genre, le statut social, et démontre chaque année sa capacité à contourner les réponses institutionnelles et à s’installer dans tous les recoins de la vie connectée.

En 2024, 66 % des victimes majeures d’atteintes numériques à la personne étaient des femmes, révélant la dimension profondément genrée de la violence numérique en France.

L’évolution des techniques et des profils : du hacking à la délinquance du quotidien

Le paysage cybercriminel français n’a plus grand-chose à voir avec les mythes des années 2000, où le “hacker de génie” était l’unique menace. Désormais, la majorité des infractions enregistrées s’inscrit dans un continuum qui va de l’escroquerie en ligne de masse jusqu’aux atteintes techniques complexes, comme l’intrusion dans les systèmes automatisés de traitement de données (ASTAD).

En 2024, 17 100 atteintes ASTAD ont été recensées, en léger recul, mais ces attaques constituent toujours le noyau dur de la criminalité numérique : sabotages, intrusions, paralysies de réseaux… Ces actes sont à la fois les plus difficiles à mener pour les criminels et les plus complexes à investiguer pour les services de sécurité. Paradoxalement, c’est dans les “petites” infractions du quotidien que l’ampleur du phénomène se mesure le mieux. Les escroqueries et fraudes profitent d’une automatisation croissante des attaques : phishing industrialisé, usurpations d’identité, arnaques à la fausse location ou au faux support technique.

Les chiffres du SSMSI montrent aussi une montée en puissance de la délinquance numérique “banalisée”, dont les auteurs ne sont pas des cyberpirates chevronnés mais de simples opportunistes profitant de failles humaines et techniques. Plus inquiétant encore, la criminalité numérique touche aussi les institutions publiques, avec une augmentation continue des attaques contre les collectivités, les administrations et les entreprises stratégiques.

Dans ce contexte, la plateforme Thésée représente une innovation majeure, tant pour le signalement que pour le dépôt de plaintes. Ce nouvel outil contribue à mieux documenter la réalité cybercriminelle, même s’il révèle aussi le retard de certaines victimes dans la prise de conscience et la dénonciation des faits.

Si la France a su résister à la tempête annoncée en 2024, c’est sans doute grâce à une alliance de facteurs : montée en compétence des équipes cyber, structuration des dispositifs de réponse et, surtout, capacité à s’adapter en continu aux mutations de la menace. La vigilance, quant à elle, reste une affaire collective, car chaque usager, chaque institution, chaque entreprise demeure une cible potentielle dans un univers numérique sans frontière.