Fuites massives via Salesforce : l’effet domino des applis tierces

Une série d’attaques de phishing exploitant l’intégration entre Salesforce et l’appli Drift expose de grandes entreprises mondiales à des fuites massives de données clients et à des poursuites judiciaires.

Ces derniers mois, Stellantis, KLM, Adidas, Qantas, Allianz Life, Louis Vuitton, Dior, Tiffany & Co. et Pandora ont signalé des violations de données liées à l’usage d’une application tierce connectée à Salesforce. Le gang ShinyHunters est accusé d’avoir détourné des jetons OAuth de la plateforme Drift Salesloft pour siphonner des informations sensibles de bases CRM. Noms, emails et numéros de téléphone ont circulé, exposant clients et employés à un risque élevé de phishing. Plusieurs victimes poursuivent Salesforce en Californie, estimant que l’éditeur n’a pas garanti une protection suffisante. Cette affaire illustre les failles critiques de la cybersécurité dans la chaîne d’approvisionnement logicielle.

Une faille exploitée dans l’écosystème Salesforce

Au printemps, une vague d’attaques a visé l’intégration entre Salesforce, leader mondial du CRM, et Drift Salesloft, une plateforme d’automatisation marketing. Ce connecteur permet aux entreprises de synchroniser conversations clients et données commerciales. Les cybercriminels du groupe ShinyHunters ont exploité les jetons OAuth de Drift, normalement destinés à authentifier des applications, pour interroger les bases Salesforce de leurs cibles. Ils ont ainsi accédé à des objets tels que Cases, Accounts, Users et Opportunities. Ces requêtes leur ont permis de récupérer des informations identifiantes comme adresses mail, numéros de téléphone et identifiants internes.

Selon Google Threat Intelligence Group (GTIG), il ne s’agissait pas d’une faille structurelle de Salesforce mais bien d’un abus des droits accordés par l’appli tierce. Une fois alerté, Salesforce a retiré Drift de son AppExchange et conseillé de désactiver l’intégration. L’entreprise insiste sur le fait que ses clients non-utilisateurs de Drift ne sont pas concernés.

Des multinationales contraintes de notifier des fuites

La liste des victimes reflète l’ampleur du problème. Constructeur automobile, compagnies aériennes, assureurs, groupes de luxe et distributeurs de mode ont été touchés. Stellantis, KLM, Adidas, Qantas, Allianz Life, Louis Vuitton, Dior, Tiffany & Co. et Pandora ont confirmé des incidents. Tous ont dû notifier des clients exposés à la perte de données. Le Service Veille de ZATAZ a d’ailleurs remarqué que le compte Telegram de ceux qui s’annonçaient comme les auteurs de ces infiltrations a été fermé. L’espace affiche un message laconique « fermé pour non respect des règles« .  La justice est-elle passée par là ?

Les informations volées n’ont pas l’ampleur de numéros de cartes bancaires ou de mots de passe, mais elles suffisent à alimenter des campagnes de phishing ciblé. Les cybercriminels peuvent désormais usurper des identités, exploiter des mails professionnels crédibles ou orchestrer des fraudes au président. Cette réutilisation des données accentue le risque de compromission secondaire, souvent plus destructeur que la fuite initiale.

Le gang ShinyHunters, actif depuis plusieurs années, a revendiqué de nombreuses campagnes similaires. Entre mai et août, il aurait lancé des centaines d’attaques contre des organisations connectées à Salesforce par Drift, industrialisant l’usage frauduleux de jetons OAuth.

Procès en Californie et question de responsabilité

Au-delà du volet technique, le scandale devient juridique. Une quinzaine de plaintes ont été déposées en Californie contre Salesforce. Plusieurs cherchent à obtenir le statut de recours collectif. Les plaignants accusent l’éditeur de n’avoir pas pris les mesures suffisantes pour sécuriser l’accès aux données, malgré sa position dominante sur le marché du CRM.

Salesforce réfute ces accusations et insiste sur l’absence de vulnérabilité directe dans sa plateforme. L’entreprise renvoie la responsabilité vers la connexion tierce. Les victimes rétorquent que l’éditeur aurait dû mieux contrôler les applications autorisées sur son marketplace et sécuriser les processus d’intégration.

Cette affaire illustre la zone grise de la cybersécurité en chaîne d’approvisionnement. Lorsqu’un maillon externe est compromis, la responsabilité du fournisseur principal reste floue. Or, pour des entreprises dont la valeur repose sur la confiance client, l’impact réputationnel est immédiat.

Google muscle Drive avec une IA anti-ransomware

Google ajoute une nouvelle barrière dans Drive : une IA dédiée à stopper le ransomware avant la restauration. Objectif : limiter les dégâts une fois l’antivirus contourné.

Google lance une nouvelle protection dans Drive pour Windows et macOS, destinée à bloquer les attaques de ransomware avant qu’elles ne paralysent tout un réseau. Contrairement aux solutions classiques centrées sur le malware, l’outil repose sur une IA entraînée à détecter les comportements suspects, comme le chiffrement massif de fichiers. Dès alerte, la synchronisation cloud s’interrompt et les données passent en quarantaine. Présentée comme une « nouvelle couche » par Luke Camery, responsable produit chez Google Workspace, la solution complète antivirus et restauration, sans les remplacer. Disponible en bêta ouverte, elle sera intégrée sans surcoût dans la majorité des abonnements Workspace.

Une nouvelle couche face aux rançongiciels

Les ransomwares ont démontré les limites des protections classiques. Les antivirus stoppent une partie des menaces, mais les attaquants réussissent régulièrement à franchir cette barrière. Les solutions de restauration existent, mais elles restent coûteuses et lourdes pour les équipes IT. C’est dans cet interstice que Google place sa nouvelle défense.

« Nous ne remettons pas en cause l’efficacité des acteurs traditionnels, mais force est de constater que l’approche actuelle ne suffit pas », résume Luke Camery. Selon lui, l’erreur du statu quo consiste à ne pas intégrer de détection comportementale en amont de la restauration. L’outil Drive se veut donc une couche distincte, un filet de sécurité supplémentaire, destiné à stopper une attaque en cours avant que le chiffrement ne devienne irréversible.

Le principe est simple : supposer que l’antivirus a échoué, puis intervenir. Google compare cela à une maison protégée par des serrures et des assurances, mais dépourvue d’alarme. Avec ce dispositif, l’alarme se déclenche dès qu’un intrus tente de verrouiller toutes les portes.

Une IA entraînée sur des millions d’exemples

Le cœur de la solution est un modèle d’intelligence artificielle personnalisé. Entraîné sur des millions de cas de ransomware, il ne cherche pas à identifier un code malveillant précis mais à reconnaître des schémas de comportement. L’exemple type : un processus qui tente de chiffrer brutalement de nombreux fichiers.

Dès qu’un tel comportement est repéré, Drive suspend immédiatement la synchronisation avec le cloud. Les fichiers potentiellement compromis sont alors isolés, placés dans une forme de quarantaine. L’objectif est d’empêcher la propagation et de préserver des copies saines.

Cette logique de surveillance permanente et réactive place la solution au-dessus d’un antivirus classique et en dessous d’un outil de restauration. Elle se veut complémentaire : non pas un remplacement, mais une barrière intermédiaire.

En cas d’attaque détectée, l’utilisateur reçoit une alerte sur son poste ainsi qu’un e-mail détaillant les étapes à suivre. Un assistant permet ensuite de restaurer facilement une version non contaminée des fichiers. La démonstration fournie par Google montre un processus aussi simple que de récupérer un document effacé dans la corbeille Windows, sans recours à des outils externes ni réinstallation complexe.

Côté administrateurs, les informations remontent dans la console Admin. Ils disposent d’un journal d’audit et peuvent ajuster la configuration. La fonctionnalité sera activée par défaut, mais les responsables IT gardent la possibilité de désactiver la détection ou la restauration si nécessaire.

L’outil est dès aujourd’hui accessible en bêta ouverte. Il sera intégré sans frais supplémentaires dans la plupart des abonnements Google Workspace commerciaux. Google espère ainsi réduire l’impact des ransomwares qui, malgré les efforts combinés des solutions antivirus et des services de sauvegarde, continuent de frapper organisations publiques et privées.